29 nov. 2008

Le liant du monde

Dans un monde humain cognisciste chaque homme demande à l’autre des preuves. Il lui demande une légitimité de ses propos, une justification de ce qu’il fait, de ce qu’il veut - et l'autre s'empresse. Par exemple, dans ce comportement à l’égard d’autrui qui se traduit par un discours, chacun des protagonistes doit en permanence se montrer rationnel, sain d’esprit, donner les références, etc. Dans ce contexte, la preuve qu’on avance pour étayer ce qu’on a à dire est en quelque sorte le démiurge pris à témoin du lien existant a priori entre notre verbe savoir et la réalité. La preuve n’est pas une simple marque d’autorité, elle est une figure maîtresse de l’Etat d’esprit, elle anime l’inter-dire :


Les êtres humains doivent sans cesse se confirmer les uns les autres le monde dans lequel ils vivent…
(1)
Si l’inter-dire n’est pas le monde, celui-ci sans celui-là ne saurait exister.

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(1) Ca n’est pas la moindre des découvertes que de s’apercevoir que nous sommes comme cet esquimau dont parle I. Meyerson, rapportant que lui et son peuple parlent pour que le monde continue d’exister.

Au commencement, le verbe ?

Plutôt que d’étudier chacun pour soi et sa carrière dans un projet collectif qui les dépasse tous et leur échappe, les étudiants pourraient peut-être un jour prochain se demander quoi faire demain ensemble, que se dire d’autre qui ne soit déjà tout à fait prévisible entre eux. Cet égoïsme institutionnalisé qui oblige chacun à se soucier de sa carrière n’est pas fait pour contredire l’idée qu’il lui ait intelligemment inoculé (par l’inter-dire en place) comme programme de « liberté personnelle », et le plus ingénument imputé quand d’aventure ça tourne mal pour lui. Alors, comme la plupart des hommes, il préfère se ranger sagement dans l’inter-dire, y faire sa place sans rien contre-dire, sans faire de politique du dire. « Quoi de plus normal ! Pourquoi renoncer à sa carrière ou à la gloire !?» Nul doute que notre savoir-croire collectif est hiérarchisé, impose à chaque élève son croire présent (fait de promesses) et lui donne à choisir tel ou tel croire-être pour son avenir identitaire, lui fournissant même les moyens de se donner toujours raison d’être comme il est, pourvu que sur l’essentiel il ne sache pas ce qu’il fait. (1)

Ainsi, publier par exemple un « essai philosophico-politique » à l’issu d’un parcours universitaire requis et approprié (forcément !), cela ne remet justement pas en cause la politique de l’inter-dire présent ! Voilà qui était prévisible ...


Mais comment ose-t-on dire une "autre" politique
Tout en confortant la politique de l’inter-dire en place !?


S’il en est ainsi quotidiennement de nos pratiques en matière de communication humaine, il est assuré que l’inter-dire en tant que tel ne saurait pourtant constituer un jour pour nous un problème politique de première importance, voire le problème politique majeur à venir, sans avoir été l’objet, mauvaises habitudes obligent, de longues recherches et études...


Mais Messieurs Dames ! l’inter-dire alternatif ne dépend pas de votre savoir !
Il ressort d’une conception de l’être au monde !


Mais peut-être serait-ce un trop grand danger personnel, pour notre étudiant, que d’avoir à s’interroger sur le rôle du verbe savoir dans notre société ou plutôt sur la répartition des dires et des légitimités qu’il a instaurée depuis des siècles ? Aurait-il le courage de dire aux autres ce qu’un auteur de politique-fiction leur fait et comment il les traite quand il leur « parle » ainsi après avoir grassement étudié et sagement pris place ? Peut-être cela reviendrait-il à leur parler sans savoir ?


« Mais alors, que pourrions-nous avoir d’autre à nous dire !? Devons-nous renouer avec l’arbitraire ? »
- Et si c’était « l’arbitraire » d’une volonté commune de nous relier autrement en vue d’un autre monde ?

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(1) Une parenthèse : s’il n’a pas à s’occuper de la marche du monde, pourquoi lui donne-t-on sans cesse des nouvelles de celui-ci ? Infra.

Déboucher sur l'espace commun

La -ontologie c’est ici l’entreprise de démystification de l’Etre : le « Logos de l’être » n’existe pas en dehors de la volonté de faire Nom et puissance du Nom. Le verbe être, même muni de l’article, reste verbe. -boucher sur l’espace commun, c’est pour un homme ôter de sa bouche tout dire purement savoir (supra) afin de ne point oblitérer (pour le mystifier) le geste de parler aux autres. De cette -ontologie découle naturellement une façon d’occuper l’espace, de dire à autrui « ce-qui-est », une autre façon de le traiter. Elle débouche sur une éthique de la commun-ication. L’Etre déchu de nos relations humaines et cantonné à son rôle dans la connaissance, c’est la mort de la bocca della verita, c’est la renaissance de l’être au monde et des paroles humaines entre elles.

Les dieux se sont tus,
La communication, suspendue, s’interroge,
La ‘vérité’ de l’être au monde peut enfin à nouveau se faire entendre.


L’idéal serait ici un échange entre hommes où chacun aurait à cœur d’expliciter sa propre présence et se réjouirait de voir autrui le critiquer, lui objecter, le railler, le contredire à seule fin de l’inspirer. Car cette intention signifierait qu’on est bien tous dans un espace d’être commun, et donc là pour que chacun accouche au mieux de lui-même. Il contribuerait ainsi à faire de l’inter-dire l’espace de l’inter-être par le langage, sans qu’aucun « moi » n’acquière par là plus d’importance, et sans plus entre nous (et dans nos dires) de souveraine impersonnalité …

L’expérience que j’ai tentée dans cet « essai » fut de passer par l’être au monde, c’est-à-dire de découvrir ce que j’avais personnellement à dire, pour pouvoir réellement me confronter aux choses et aux autres hommes. « Au monde » chacun aurait ainsi, selon moi, quelque chose à dire d’autre qu’un savoir, son égoïsme, et ses sempiternelles exigences envers les autres … C’est là le préalable à la communication (supra), à la confrontation qui consistera à se laisser alors dire-être par les autres :


Les autres : alors désormais notre source d’inspiration.

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23 nov. 2008

Science et contresens (la présence corrompue)

Si la seule présence de chaque chose (ou être vivant) était « tout » pour nous, nous n’aurions pas besoin d’en connaître le sens. Dès lors que la volonté de savoir s’apparente à un désir de pallier une sorte d’absence de sens de la matière et du Monde, tout Savoir constitué vaut comme théologie du sens de toute chose.* Mais peut-être la science n’est-elle qu’un savoir-faire ? – Ou bien veut-elle aussi donner du sens ? Son savoir-faire est repérable : du savoir proprement dit (des connaissances), des applications multiples (matérielles ou autres), et un inter-dire fédérateur et donc civilisateur. Mais que fait-elle, précisément, de tout ce qui ne rentre pas dans ce dernier cadre d’activités humaines, et notamment du verbe croire ? – Une tare, une lacune, une entrave, un contresens … **

Au monde la communication n’est pas la même …

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(*) C’est tout autre chose que de se recréer le monde comme je le fais ici tout du long.
(**) Qu’un homme de science puisse également être croyant, cela indique qu’il est dans les deux espaces (hommes et monde) et y dit-être respectivement. Mais intégrer en quelque façon sa croyance à l’exercice de la recherche objective (ou inversement) serait non avenant, serait de sa part commettre un contresens.

Où chacun, bien seul, ne tient que par les autres

Si le savoir-croire humain vise la communication la plus totale c’est-à-dire que chacun enfin ne touche plus terre, ne tienne plus que par les autres alors l’espèce humaine est peut-être bien la plus imparfaite du règne vivant. Elle n’est pas finie, son évolution n’est pas aussi avancée que celle, par exemple, des fourmis, où tout semble à peu près fixé d’avance pour chaque individu. Ne nous laissons pas abuser par nos moyens technologiques de communication, il est manifeste que l’espèce n’est pas ordonnée, stable, sûre d’elle – elle est toujours « en préparation ».

La communication parfaite se cherche encore ...


De fait, l’évolution de nos sociétés semble aller dans le sens d’une servitude croissante de chacun et de tous à la collectivité :

La fourmi est l’avenir de l’homme,
Un idéal de communication.


Ce renversement total de point de vue sur l’échelle de la « valeur ontologique » des espèces vivantes a au moins pour avantage de nous suggérer une solution à l’énigme, vue plus haut, d’une nature qui, partout très performante jamais cependant ne pense. Si les hommes finissent un jour fourmis, donnant enfin l’image d’une espèce enfin ordonnée (c’est-à-dire tout le contraire de son histoire jusqu’alors), alors nous n’avons pas à croire qu’ils ne penseront pas, puisque nous pensons. Nous devons d’ores et déjà admettre qu’ils seront simplement privés de soi, de réflexions pures.

« ‘L’homme’ commence avec Dieu,
Et finit avec moi »

22 nov. 2008

Dé-nature

Quand on constate une bonne fois à quel point la communication humaine est bien plus envahissante et paralysante qu’enrichissante, on ne se sent plus aussi naturellement porté à livrer soi-même aux autres hommes son sentiment. L’affaire est entendue, et on peut alors entrer soi-même dans une gestation du silence à l’issue duquel une parole éclôt et se mue en un agir personnel. On change alors de dire, on se met alors à témoigner personnellement non seulement de ce qu’on fait, là pour ou contre, mais surtout de ce que c’est que faire.

A l’inverse, persister à vouloir instruire le procès du monde, fut-ce le plus intelligemment du monde, c’est participer d’un discours-type qui nourrit les consciences. Mais à partir de quoi cessons-nous d’être informés et nous mettons-nous à agir personnellement ?

« Se tenir informés, c’est important ! »
- Ah oui ? Pour montrer qu’on est aux courants … d’air ?

Abreuvés d’informations et abusés par un procès du monde qui n’en finit pas les infos, les analyses, les traités, les débats, les essais, les enquêtes, ces éternels rebondissements de l’affaire, toujours la même les hommes ne savent plus bien où est le commencement de l’acte personnel, du soi véritable. En matière d’acte aussi ils attendent quelque chose comme « la vérité », c’est-à-dire un déclenchement par l’abstrait. Ils ne savent plus s’abstraire eux-mêmes du discours qui les nourrit comme pour les engluer dans leur bavardage. Ils croient qu’être informés c’est s’intéresser, et s’intéresser « en être » ! Mais on vous informe pour que votre parole à son tour alimente ! (Des fois qu’il vous viendrait à l’idée de parler d’autres choses, de penser et surtout d’agir autrement, d’agir personnellement !)

Pris dans les filets du langage fait espace, le glorieux refus de tous les grands indignés a mille visages, nourrit son monde, mais le discours qu’il inspire est bien souvent le marchand de sable des consciences. Homme branché, citoyen, civilisé, très au courant de ce qu’il se passe dans le monde, très dépendant et surtout impuissant.

17 nov. 2008

Naissance de l'Etat d'esprit

L’Etre, cette abstraction qui ne fait rien et n’a aucun effet, c’est ce genre auquel toutes les espèces de divinités et autres puissances jusque-là appartenaient sans qu’on le sût. On se mit à le découvrir. Jusque-là, la parole du dieu, qu’il fallait le plus souvent « aller chercher », on l’écoutait et on se conformait à son dire parce que son dire se confondait à son existence même, visible à ses effets. La réalité divine était alors Parole, et on l’écoutait comme on la voyait. Désormais, au sujet de toutes les divinités, il y eut quelque chose de bien étrange au-dessus de leurs têtes :

Les dieux avaient en commun l’Etre,
Mais l’Etre n’était pas dieu.

Quel ne fut pas le bonheur de ces Présocratiques d’être alors enfin en mesure de définir leurs Dieux en tant qu’Etre ! Ni ce dieu-ci, ni ce dieu-là n’avait telle ou telle propriété, effet ou puissance qu’en savions-nous au juste ! mais tous pareillement, s’ils en avaient la stature, devaient avoir les qualités qui siéent à leur rang d’Etre ! Car on l’aura compris : plus qu’aucun dieu, toujours discutable, toujours quelque peu derrière un nuage, l’Etre lui au moins est parfait en sa nécessité formelle !

Un, sphérique, immuable, inaltérable, atemporel etc.
Si un dieu est dieu, il ne peut qu’être figure de la perfection.

Ce véritable dépassement du religieux que fut la découverte de l’Etre et conduisit cependant tout droit à une théologie cognisciste de l’Etre allait désormais nourrir l’inter-dire humain pour les siècles à venir. Certes l’Etre n’était pas un dieu,* mais il allait servir partout de modèle, de paradigme ! L’Etre fut-il tout d’abord un véritable symbole des dieux, il ne tarda pas en effet à se chercher incarnation du côté des hommes et de leur désir le plus profond la connaissance.

L’Etre à peine né visita aussitôt la connaissance humaine. **
Ainsi naquit le nouveau paradigme,
L’Etat d’esprit qui allait envahir le monde.

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(*) Pas encore, il le deviendrait un jour en tant que l’inter-dire humain serait le « tout » du monde cognoscible et à portée de main, de dire.
(**) Cf. l’histoire de l’esprit saint
visitant la vierge Marie …

Un x parmi les hommes (naissance de l'Etre)

Le (savoir-) croire humain est indéniablement riche de créativité. Durant des siècles, certains Existants emportèrent de large suffrage : on crut en leur existence au monde, fut-ce indirectement, par leur seule incidence sur le monde. Il suffit de songer aux morts chez les Grecs de l’époque archaïque et aux hypostases auxquelles ils ont donné lieu.

Toute chose même cachée se perçoit à ses effets,
Tout être même invisible se reconnaît à son
faire.

Les hommes croyaient en une multitude de divinités, esprits, mânes, etc., mais n’eussent-ils cru qu’en un seul de ces esprits, ils étaient loin de pouvoir faire d’un dieu une abstraction, moins encore d’une abstraction un dieu.

Qu’est-ce qu’une abstraction ? C’est l’idée qu’il existe quelque chose qui puisse servir de symbole, voire de modèle, sans être un quelconque faire ni avoir un quelconque effet si ce n’est précisément de servir de modèle, de paradigme même, de pouvoir l’utiliser à sa guise pour hypostasier.

Un dieu exprès pour le dire ?

Les dieux grecs n’étaient pas des personnes divines, ils étaient ces Puissances naturelles et / ou mythologiques, objets de croyance et d’obéissance.

C’est parce qu’ils faisaient, parce qu’ils menaçaient qu’ils étaient.

Connaître signifiait être en mesure de prévoir les effets. Il ne serait venu à l’idée d’aucun homme d’imaginer un « x » qui ne fut rien ni eut aucun effet. Pourtant cette idée vint dans l’esprit de quelques hommes, et tout leur travail consista dès lors à tenter de montrer aux autres hommes non seulement le lien de ce « x » aux choses et aux êtres existants, mais aussi et surtout son intérêt pour nous tous, pour notre connaissance.

Ce « x » c’est l’Etre.

9 nov. 2008

S’affirmer ou s’effacer ? (L'artiste et le fidèle)

L’artiste affirme-t-il son moi tandis que le fidèle s’efface ? Le premier occupe l’espace physique, le second veut finaliser l’espace de l’inter-dire humain en vue de la vérité, en vue du sens. L’un est au monde et crée, l’autre cherche les conditions auxquelles se soumettre et soumettre les autres hommes : un dire qui fasse autorité, qui soit légitimé à faire savoir.*

Mais le sens du monde ne va pas sans faire violence à tout être au monde …


Affirmation du moi, effacement du moi ces deux positions tranchées méconnaissent l’alternative au moi qu’offre la conscience de dire-être au monde et la volonté afférente de dire-être aux hommes comme tout ce qui est. Une légèreté certaine accompagne tout état d’âme créatif, une conscience qui se déjoue du moi, qui ne cherche pas à le négocier car elle a mieux : le soi.

Le soi anonyme mais bien présent !


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(*) Bien sûr, montrer qu’on s’efface soi-même devant quelque hypostase pour mieux s’affirmer devant les autres (comme chef, fidèle serviteur, porte-parole, prêtre, etc.) est un grand classique de la volonté de puissance. Pour occuper l’espace, il est bon d’occuper les esprits, de passer par le langage, de montrer à l’envi l’exemple de la soumission qu’on cherche à inspirer. En matière de savoir objectif, tout psychologisme même sera considéré comme mauvais procès d’intention, en dépit de la psychè de chacun.

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L’un met bas, l’autre s’élève

Il faut tout le bonheur de créer ou de recréer soi-même pour ne point sentir en son for intérieur le besoin pressant d’Adorer, de Comprendre, de Savoir, de Colporter immédiatement aux autres la Bonne Nouvelle. Ca n’est pas là un scepticisme eu égard les savoirs humains, c’est simplement une conscience (à tort ou à raison) de la réalité de l’être au monde :

D’abord il crée, ensuite il dispose,
Tandis que d’autres, d’abord se mettent en position de croire, puis attendent …

Chacun peut constater sans peine parmi les hommes que partout où la créativité est brimée, la soumission à l’hypostase semble s’imposer à l’être brimé même comme vérité. Sans doute le droit de créer se doit d’être réservé parmi les hommes puisqu’il octroie une indépendance et une puissance dont un homme ne saurait se déprendre, moins encore partager. La grande majorité des hommes n’a donc de droit que de savoir ce-qui-Est, c’est-à-dire de l’apprendre de la bouche de ceux qui savent et de ceux qui ont légitimé à le leur dire. Partant, outre le confort qu’apporte à l’homme fidèle sa croyance en quelque Etre (hypostase), il est à parier que c’est la perspective de la puissance que celui-ci pourrait exercer sur lui qui inspira aux créateurs de toutes les époques l’idée de fonder à partir de leurs Créatures quelque religion afférente de « l’âme », de « l’esprit », du « cœur » ou encore de « l’art ». Non point cependant en une façon de célébrer le savoir-croire de chacun, non, mais seulement de créer une religion du croire même !

Une religion exprès pour les fidèles,
Où l’on célèbre la seule foi … en l’hypostase.

Exemple entre tous, le « sujet connaissant » est ce fidèle qui en appelle à la soif de vérité des autres hommes, attendu qu’on ne crée pas la vérité, qu’on la découvre seulement ! Aussi faut-il être légitimé à parler.

Et ainsi, à défaut de savoir, eh bien moi j’écoute un autre homme,
Lui, persuadé de découvrir et d’être dans le partage.

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Si Dieu était une fable, elle débuterait peut-être ainsi :

« Dieu créa la vérité, puis l’homme qui irait avec
Pour la célébrer comme hypostase. »

Mais peu importe au fond si un homme trompe un autre homme qui l’en prie : quel créateur ne s’éprendrait pas lui-même de sa Créature ?

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La persuasion et la rhétorique *

Le sentiment a parte de tout homme créateur de ‘choses’ est qu’un Existant nourrit certes la foi et la connaissance … mais des autres hommes car pour lui, construire, imaginer, créer quelque Existant collent bien plus à la réalité de l’être au monde (donc à la sienne), et assouvissent plus pleinement son désir d’être présent au monde.

Si l’artiste aime son public et réciproquement,
Ce n’est sûrement pas, entre eux, de bien se comprendre !

L’antagonisme est larvé. Il opère, dans l’absolu, entre un pur dire-être au monde (s’il en est) et, par exemple, quelque discours de vérité prononcé devant des fidèles parce que conçu pour eux. On comprend mieux dans ces conditions l’idée de chute qui accompagne la vision gnostique du monde quand on considère « la vérité », emblème par excellence de toute hypostase, comme la chute de l’expression naturelle (dire-être au monde, manifestation) dans l’inter-dire humain (communication).

Le savoir-croire de chacun dévoyé et dévoré de toute façon
Par l’inter-dire.

Ainsi l’hypostase « vérité » circulant parmi les hommes et redoublant d’existence par les incessantes croyances dont elle fit l’objet, a fini par rendre le monde de l’être redevable du langage et de l’inter-dire humains. C’est ce dieu-là que les gnostiques combattent. C’est pourquoi ils parlent d’un faux dieu (du dire, de la communication ?) au-dessus duquel se tient le vrai (du croire, de l’expression ?). Tout comme la créativité de toute chose se tient normalement au-dessus de toute béate dépendance. Mais qui seul peut l’entendre ?

L'homme qui crée, qui donne à croire.

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(*) Titre de l’ouvrage de Carlo Michelstaedter

8 nov. 2008

La trahison de l’homme libre

On connaît cette figure de « l’homme libre » prônée parmi les hommes, mélange de créativité, de force, d’orgueil et de vanité. Elle traverse l’histoire des hommes. Sa liberté est à l’égard de tout « Etre », à l’encontre de toute autorité. Que peut faire cet homme de cette liberté ? Que va-t-il en faire ? Elle le poussera tôt ou tard à créer à son tour un Etre de ses propres mains ! C’est-à-dire à l’égal du dieu ou, s’il vit à notre époque, à l’égal de la connaissance objective des faits, de la réalité.
Voici son travail achevé ; c’est par exemple une théorie politique, ou une conception scientifique ou « esthétiste » du monde, ou encore un système philosophique – bref, cela donc nous concerne. Que devons-nous comprendre ? Son œuvre est-elle un exemple de ce que nous aurions pu nous-mêmes réaliser, et donc en quelque sorte un éloge de notre propre créativité ? Une célébration de notre savoir-croire, peut-être ? Ou bien est-elle une occasion pour nous de nous soumettre à ce nouvel Etre, de nous laisser guider par lui, nous qui ne sommes pas capables de créer par nous-mêmes ?

Chaque créateur religieux, poétique, philosophique ou politique doit choisir entre l’hypostase utile aux hommes – en grande majorité non « artistes » – et l’éloge de la créativité humaine dans son ensemble. Dans le premier cas il est sans nul doute aux hommes, dans le second il est plus généralement au monde. Lui, l’hérétique qui osait penser par lui-même, a fini par penser pour les hommes et a fondé une Eglise. Il est devenu un grand homme.

Mais d’un point de vue de l’être homme au monde,
Toute Eglise est précisément le commencement de l’hérésie.

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1 nov. 2008

Savoir et politique

La connaissance est affaire de science, sans aucun doute mais le verbe savoir est l’essence de notre politique en tant que recherche et mise en circulation du meilleur dire, le plus crédible, le plus légitime, le plus légitimé à s’imposer parmi les hommes. Et même à faire ‘l’homme’ !


Savoir et faire savoir sont un des moteurs principaux de l’inter-dire.


« Façon d’être, façon de voir » ? Mais toute façon politique de nous faire passe par une façon de nous faire savoir ! Voilà pourquoi savoir et politique sont si intimement liés. Politique de l’Etre et de l’Etat d’esprit, politique de l’être homme pris entre la chose et l’autorité :


« Voyez la vérité dans la chose,
Voyez dans notre savoir la Loi. »


L’inter-dire est le véhicule de l’ordre, le garant des valeurs, de la hiérarchie à respecter, des interdits, des Existants opérationnels. (Vérité, verbe savoir, éducation, libéralisme, etc.). La politique ancestrale de l’Etre nous enseigne à la fois les choses


« Voyez comme les choses à des Lois se soumettent. »


et à vouloir nous soumettre, comme elles, à la vérité, au savoir. Comme nous découvrons les Lois de la nature, nous apprenons ainsi à obéir aux Lois.


Comme on sait on se plie à la vérité.
Tel est alors notre vouloir.

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Le gendarme de la communication

Le verbe savoir relève d’un croire implicite à l’en-soi réel (...) sur la base d’un Etre formel. Rattaché à l’en-soi, il est cette instance, ce statut, ce « rang de parole » qui peut se permettre de dire sans laisser supposer qu’il relève d’un croire. *

Il est cette légitimité accordée au dire qui peut s’en réclamer, d’énoncer ce qui est. Ce langage de l’en-soi, c’est la possibilité offerte aux hommes d’entreprendre, sur des bases solides, un commerce de la réalité.

Ontologie contractuelle.


La Raison officielle, ça n’est pas seulement un ensemble de moyens rationnels en vue de savoir, de justifier le statut de ce croire si particulier et de fonder la science, c’est aussi une façon de nous entredire du « solide », du « fiable », du « sûr », c’est-à-dire d’imposer silence à tout ce qui ne l’est pas, et de contraindre ainsi tout homme à vouloir s’assurer de toute chose avant de la dire aux autres et d’exiger d’eux, réciproquement, des garanties pour tout ce qu’ils pourraient vouloir lui faire savoir.


Le verbe savoir règlemente le marché du dire …
Savoir, c’est déjà de la communication.


[Pas étonnant, dans ces conditions, qu’un profond désir de savoir la vérité anime en chacun de nous le besoin … de dire aux autres ! Ou bien est-ce l'inverse ?]


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(*) « L’être » c’est ce qui ne veut pas changer (Agora). En tant que c’est ce qui s’arrête ou est arrêté, on comprend son lien, plus qu’étroit, avec la recherche d’un dire lui-même fixe, assuré, certain. Le (vouloir) dire qui se nomme savoir exige(ait) « l’être » …

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Commerce de la réalité

L’exigence humaine de vérité a beau être la plus haute, elle n’est cependant pas telle qu’une vérité dernière, même, aurait le pouvoir de faire cesser le dire parmi les hommes.


Même ultime, aucune vérité jamais
Ne réussira à nous faire taire.
*


Les enjeux du dire aux autres pour chacun de nous et de l’inter-dire pour l’espèce entière sont bien supérieurs à la vérité même. On peut donc penser, en dehors des multiples possibilités de langage, que le langage et l’inter-dire humain sont constitutivement sans fin, quels que puissent être leurs objets et leurs contenus. ** Aucun dieu ne peut y mettre un terme, pas même un inter-dire, comme actuellement, qui aurait pris sa place. Celui-ci même s’alimente de vérités mais d’aucune dernière en ce qui le concerne. Aucun mot de la fin n’y sera jamais pris au mot, même si des millions de gens s’y attèlent ! Pas même celui-ci, provocateur :


La vérité dernière est sûrement derrière nous !


Ainsi, quoi qu’il en dise, l’homme de vérité (de savoir) privilégiera toujours son dire par-delà toute vérité dernière qui l’exempterait alors de poursuivre. Il ne veut pas être exempté ! Pourquoi la vérité n’a-t-elle de sens que si elle recrute parmi les hommes ? Parce que le paradigme de l’Etre à l’origine entraîna l’inter-dire humain dans un commerce de la réalité.


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(*) La politique du dire c’est l’inter-dire avant tout (supra), l’inter-dire éternel, non point quelque vérité éternelle pure marchandise !
(**) Mais alors,
la vérité et tout ce savoir après lesquels on court ?


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