22 déc. 2008

Alors, un livre ?

Au monde revient l’objet matériel, *
Aux hommes qui savent, le contenu,
A ceux qui comprennent l’être, le geste.

Ecrire un livre comme l’abeille butine, comme la plante croît, comme la lionne dévore sa proie. Etre présent en ce monde quand bien même on serait persuadé d’en connaître les secrets, quand bien même on se connaîtrait soi-même « comme jamais » …

La règle, l’éthique du dire ontologique si l’on veut, c’est de signifier dans tous les cas un geste. Ce qui n’est pas geste, un style, une respiration, un acte de présence, une relation vivante ne vit pas, ça n’appartient qu’à la sphère de cet esprit magnifique fait dieu à laquelle on n’accède que par un étranglement de l’être. Image d’un sablier dans lequel l’être se transforme comme par miracle (forcément) en esprit.

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(*) La pièce à conviction.

21 déc. 2008

Le geste préféré à la vérité

Dans un monde ontologique naturel colonisé par le cogniscisme, au point que les hommes croient désormais qu’être c’est connaître (savoir) et que dire c’est dire ce qu’on sait, il semble qu’il n’y a plus guère de place pour la créativité « folle ».

Comme cela est déjà arrivé par le passé, l’art (la créativité) pourrait vouloir résister ici encore à l’Etat d’esprit comme l’authentique à l’artificiel, le véritable être au monde à l’inter-dire humain, ou plus encore comme le général à la spécialité humaine. * Mais il n’est pas esprit ! Ce n’est pas en tant qu’être artiste (dire-être) au monde serait être esprit libre et que cet esprit-là seul serait créatif ! Ce n’est pas en tant qu’un esprit, celui de « l’être », s’opposerait à un autre esprit, celui de la connaissance ! L’être au monde se manifeste dès la matière, et si la connaissance est bien esprit, le dire-être conscient et résolu d’un homme ne lui opposera pas « l’esprit de l’être » ni aucune « théorie de l’être » mais seulement ici son penser-geste, plus loin son corps dans l’espace physique, et partout ailleurs la présence de toutes choses. ** Son dire préfère le montrer au démontrer.

Le geste préféré à la vérité.

Intuition ici d’une règle : s’arrêter à l’interface, ne pas franchir le pas qui conduit à se poster en face car on n’y chercherait plus que le sens de toute chose. Ne pas devenir ce sujet connaissant qui forcément et aussitôt va avec ce qu’il découvre et s’isole dans sa connaissance.

Demeurer là, dans l’en deçà du langage fait espace,
A respirer le même air, signifier notre propre danse.
Ecrire un livre à l’air libre
Des seuls mouvements de nos membres,
Ce livre qu’on posera ensuite au pied d’un arbre
Et que viendront ronger les vers
Ingénument,
Mais que des hommes auront lu en secret
Et souriants
Avant de le replacer sous les étoiles.

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(*) Ce qui ne signifie pas l’individu face à la collectivité !

(**) « Sage est l’homme conscient d’être au monde de tout ce qui est et comme tout ce qui est mais n’en oublie pas pour autant d’en témoigner aux hommes à sa façon. Chez lui le savoir-croire s’aide d’une pensée de l’être, une pensée qui s’assimile elle-même au croire, au dire-être de toute matière et jusqu’à la pensée même. Cette pensée du dire-être et du savoir-croire ne se connaît pas « en l’esprit », elle se reconnaît en l’être, en tant qu’expression particulière dans l’être au monde. » (infra).

15 déc. 2008

Un communiquer empêche l'autre

Tout ce qui est dit sa présence et son savoir-faire, nullement qu’il sait, aucun « savoir ». Voilà une réalité qui pourrait nous inspirer le désir d’être à nouveau, nous aussi, comme tout ce qui est. L’apparition du langage articulé chez nous fut tout d’abord logiquement un prolongement de notre dire-être au monde. (1) Mais il en fut très vite détourné. La question ici posée est donc :

Qu’avons-nous fait du langage ?

Un enfant en bas âge commence par exprimer son être au monde par le langage longtemps avant, le cas échéant, de réellement commun-iquer avec autrui grâce à lui. L’espace « commun », s’il en est, entre l’adulte et l’enfant, n’est que celui qui permet à l’enfant d’exprimer ses désirs. L’adulte sait cela, il sait qu’il appartient lui-même à cet espace des désirs de l’enfant comme un simple Existant consentant.

« L’enfant n’est pas qu’un être ‘égoïste’,
C’est un être qui a besoin de moi. »

Le passage de notre dire-être au monde d’enfant (par l’expression de nos désirs) à notre dire aux hommes d’adulte (par notre conscience de l’inter-être) définirait à coup sûr une éthique de la communication. Mais qui nous le fraye ? Qui nous l’enseigne ?

Un enseignant commence par apprendre lui-même ce qu’il lui faudra enseigner à des élèves et comment il doit s’y prendre. Il a choisi ce métier de transmettre. On croira volontiers qu’il est l’adulte ci-dessus qui répond aux besoins de l’enfant : « Faire de toi un homme » en quelque façon. Mais de qui sont les désirs exprimés ? Sûrement pas de l’enfant ! L’élève sait cela, il sait qu’il appartient à cet espace des désirs de la Collectivité à son égard comme simple Existant – consentant. Il n’a pas le choix. Il lui faut croire qu’on veut son bien. Du reste, l’enseignant sait bien qu’il n’est lui-même qu’un rouage, qu’il ne saurait commun-iquer avec ses élèves dans le cadre de sa profession, moyennant salaire. Il est là pour transmettre, pas pour une authentique rencontre …

Par son dire à l’élève, il le destine uniquement,
Le langage ici n’aura servi qu’à le conduire.

De fait, le langage est très tôt utilisé politiquement comme un moyen de former des citoyens qui soient des relais d’échange, des êtres de transmission et en concurrence. Mais nous le savions déjà : entre nos agents de formation et l’enfant que nous sommes, il n’y a pas d’espace d’être en commun mais un espace dans l’autre. Cela tient a priori à notre « essence » :

« Parce que nous sommes des êtres sociaux » :
On nous informe.

L’inter-être naturel incombe donc à cette part d’enfant (2) demeurée en nous-mêmes, et nous le retrouverons avec enthousiasme durant toute notre vie (mais entre semblables seulement) à chaque rare moment de – récréation. Précisément, ce grand Sérieux qui fait de chacun de nous un homme, est l’usurpation de cet espace :

« Communiquer, c’est nécessairement avoir l’espace de l’être en commun. »

Voilà en quoi aucune vérité qui s’enseigne ne saurait exprimer un désir de commun-iquer, d’inter-être sans arrière-pensée formatrice, colonisatrice, utilitaire, hiérarchique. Oui, le principe même d’une vérité qui s’enseigne nous prive du jeu de l’inter-être naturel, qui est toujours horizontal et équitable, neutre. Elle amenuise cet espace au fur et à mesure qu’elle étend le sien propre :

La salle de classe contre la cour de récréation.

Pire, la vérité qui s’enseigne n’est qu’une éternelle adolescente, elle exige de notre dire qu’il s’occupe sans cesse d’elle, que nous veillions sur elle et l’adorions comme un enfant exclusivement. Elle veut qu’on l’écoute, qu’on l’apprenne, qu’on la récite et qu’on l’impose à notre tour aux autres. Cela doit nous servir de relation, et le faire savoir constituer notre vocation même ...

C’est que la vérité n’est pas partageuse,
Elle met les hommes à la suite les uns des autres pour qu’ils aillent « de l’avant »,
Ne se retournent jamais sur un quelconque dire-être
Et moins encore ne s’y attardent.
(3)


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(1) ...
(2) Que l’on n’a pas laissé mûrir, convertir en bonheur d’adulte.
(3) Cf. extrait de Carlo Michelstaedter sur Ecouterdire à titre d’exemple de dire-être.

14 déc. 2008

Dire-être honnête

Notre pouvoir de dire ne nous fait pas dire la vérité, et donc la détenir, elle nous fait être véridique cherchant le plus honnêtement du monde à la dire.* Peut-être ne détient-on que ce que l’on rend vivant ?

Donner chair, si on le peut, à une équation mathématique par exemple ?

Notre quête de vérité ne se heurte donc pas à « l’Inaccessible » (… Vérité), elle ne court pas après l’impossible, elle ne cherche pas consolation, elle ne s’obstine pas ni, dépitée, se fait nonchalante. Elle se comprend elle-même comme opportunité d’être « par le dire », opportunité de dire-être « en vérité » (en vérité d’être). Question d’être et non de pure connaissance.

Chercher la vérité n’est pas chercher la vérité,
Mais ce qu’on a à dire.

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(*) Ce qui ne signifie pas qu’il faille nécessairement « aller jusqu’au bout » !

7 déc. 2008

Le style

Pourquoi la question du style est-elle si centrale en matière de présence ? Parce qu’elle englobe ce que l’on a réussi à croire, ce que l’on est contraint de croire, ce que l’on veut ou ne veut pas faire croire. Parce qu’elle fait signe au détriment du seul sens, du sens qui veut toujours être seul sur le devant de la scène. Or le style traduit doublement la présence, à la fois l’être qu’on est au monde et l’homme que l’on est aux hommes :

Son propre dire-être,
Et comment on s’adresse aux hommes.

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La pensée dépassée : l'énigme de l'onto-logique

Nature, le caractère de tout ce qui est , sa nature ontologique. La « Nature », même, ne pense pas.* Mais alors la Nature est pour nous une énigme en ce sens que partout « ça marche », alors que partout en son sein « seulement ça croit » (Pistis).

Pourquoi ‘l’homme’ ferait-il exception ? Si tout être au monde se signe en tant que croire et faire-croire, sa présence s’alimente manifestement à un savoir-faire « en matière de croire », un « savoir-croire » qui assure sa défense, sa pérennité et, le cas échéant, se manifeste pour nous comme volonté de puissance : « instinct de conservation », dispute de l’espace physique. Dès lors :

Le savoir-croire de l’espèce humaine, même,
Dépasse ce qu’elle a de pensée.

L’énigme d’une nature qui ne pense pas se double ici d’une interrogation profonde sur le lien véritable entre la pensée des hommes et leurs actes individuels et collectifs entendu qu’ils seraient mus collectivement par un savoir-croire impensé et donc in-su :

Ce que penser est faire au monde **

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(*) Chacune des espèces vivantes sur terre se comporte comme un sujet individuel conscient qui s’adapte, évolue, use de stratagèmes, communique avec soi et avec les autres, s’associe même la plupart du temps à d’autres « espèces-individus », bref se comporte effectivement tel un individu doué de volonté, doté d’intentions, capable de se transformer ou d’agir sur son environnement selon tel ou tel objectif, et donc, tout comme un homme conscient de lui-même et du monde pense.
Or aucune espèce vivante en tant que telle ne pense, aucune n’a de volonté propre, d’intention, etc. comme nous. Et si chacune constitue un réseau de communication interne et externe (..), on ne peut considérer comme être aucun de ces « organismes d’ensemble » composés pourtant d’êtres vivants à part entière. A moins précisément d’assimiler toute organisation d’informations et de communications à un organisme biologique ? Dans ce cas, l’hypothèse de l’être au monde comme croire et faire-croire conduit tout droit à l’immatérialisme : « Le monde est composé d’informations qui circulent. Les organismes biologiques n’en sont que les relais, des nœuds de vibrations relayant des programmes apparus ici ou là, dans l’inter-dire … »

(**) En dépit de tout penser quelque « chose », prétexte à un espace noétique qui n’en peut mais.

La fabrique du "monde"

On peut penser qu’à l’inverse de ‘l’homme’, profondément tissé d’inter-dire (humain), le peu de relations (d’inter-dire) qu’une plante noue avec les autres membres de son espèce lui laisse peu le loisir de créer quelque « fantasme » collectif. Car chez les hommes, c’est en effet très certainement le développement croissant de leur inter-dire et la multiplication constante de leurs Existants qui leur a permis d’acquérir une conscience du « soleil », de « soi », et finalement de cet espace total dont la plante n’a pas la moindre idée : le monde. Il ne semble pas qu’une conception « du monde » soit une nécessité vitale pour beaucoup d’êtres vivants sur terre … On peut même conjecturer qu’un être qui a sans cesse multiplié ainsi le nombre de ses Existants l’a fait par opportunité collective de puissance ; c’est-à-dire grâce, précisément, à son inter-dire :

« L’homme est un être social » :
Individuellement il n’est que bête, égoïste et « animal »,

Collectivement il se développe. *

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(*) Mais alors, sa présence ?

L'universel référent

Un seul être au monde a affaire avec le monde, a « le monde » pour Existant. Il croit même que celui-ci « englobe tout », puisqu’il est « L »’espace dont il est le seul à avoir conscience. Pourtant, « le monde » en tant que tel, précisément, n’a manifestement aucune importance pour la plupart des êtres, bien qu’au monde comme nous ! En ont bien plus et sont bien plus universels l’eau, l’oxygène ou le soleil, par exemple !

Sinon le monde, quel est donc l’universel référent ?

Pour sa part, une plante fait exister naturellement des « choses » dont nous n’avons pas immédiatement conscience, dans la mesure où nous sommes incapables de croire comme elle. Ce que nous nommons « soleil », lui fait dire-être au monde au moyen de la chlorophylle. La chlorophylle fait assurément partie du dire-être au monde de la plante. La façon qu’a la plante de croire, selon ce qu’elle est, à ce que nous qualifions de « soleil » mais dont nous n’avons aucune idée de ce qu’il est pour elle (sans doute rayonnement et chaleur, je suppose) cet être-relation là « a pour manifestation » de la chlorophylle.

Ainsi, si l’apparition du soleil est largement antérieure à toute forme de vie sur terre, il est légitime de considérer que chaque espèce vivante est née, entre autres, d’une façon bien à elle de l’appréhender …

Le soleil, un Existant pour tous (ou presque),
Pas le même, pas appréhendé par tous de la même façon.
Un parfait exemple …

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Une "envergure" de l'être ?

Si tant d’êtres au monde, tels des fenêtres ouvertes sur le monde, paraissent ne donner que peu sur celui-ci, je veux dire sur la totalité de l’espace physique de la commun-ication (tel que seul un homme peut en concevoir le panorama et « y être »), cela semble dû en partie à leurs Existants mêmes. Un chien par exemple me semble plus « intelligent » qu’une plante parce qu’il réagit à bien plus de « stimuli » et me considère, surtout, à part entière, moi. Avec lui j’établis une véritable relation. Quel contact puis-je établir, en effet, avec un être qui ne pourrait pas même me considérer comme une entité ? La façon d’être du chien est donc plus proche de la mienne que celle d’une plante. Celle-ci n’a de moi comme Existants que le peu … que je lui inspire.

Quoi qu’il en soit des différentes façons d’être au monde, il semble qu’avec le nombre de ses Existants croît aussi, en chacune, l’espace (sinon les capacités) de commun-ication avec les autres. * Mais que signifie cette différence de complexité, d’étendue, de conscience, et surtout de quantité d’Existants en matière de présence au monde ? Qu’on est plus ou moins présent !? Sûrement pas ! Alors quoi ? Que ‘l’homme’, parce qu’il a multiplié de façon exponentielle ses Existants et surpasse très certainement en cela tous les êtres au monde, a une vocation eu égard tout ce qui est tout aussi présent que lui ? Peut-être, mais c’est là encore reconnaître implicitement que sa présence à lui est en quelque façon « supérieure » à celle des autres !


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(*) Au point, chez un homme, qu’il se met à imaginer « le monde ». Deleuze, je crois, s’étonnait des trois stimuli auxquels seuls répondrait la tique.